Comment rendre l’apprentissage aussi addictif que les réseaux sociaux | Luis Von Ahn de Duolingo | TED Talk
Comment rendre l’apprentissage aussi addictif que les réseaux sociaux
Alors, je viens du Guatemala.
Ceci est une annonce de service public : voici où se trouve le Guatemala.
Et non, ce n’est pas là qu’on garde les prisonniers.
Ça, c’est Guantánamo. Pas le même endroit.
Le Guatemala se trouve juste en dessous du Mexique.
Pour les Américains dans l’audience, laissez-moi vous donner une comparaison qui vous parlera :
De la même façon que les États-Unis ne veulent pas d’immigration clandestine du Mexique,
le Mexique ne veut pas d’immigration clandestine du Guatemala.
C’est un pays plus petit, plus pauvre,
mais il a une bien meilleure cuisine mexicaine.
Le Guatemala est un pays très pauvre.
Beaucoup de gens parlent de l’éducation comme un facteur d’égalité entre les classes sociales.
Mais j’ai toujours vu ça différemment : comme un facteur d’inégalité.
Parce que dans la réalité,
les riches peuvent s’offrir une excellente éducation
et ainsi rester riches.
Tandis que les pauvres apprennent à peine à lire et à écrire,
et restent pauvres.
Et c’est encore plus vrai dans les pays en développement.
Moi, j’ai eu la chance de recevoir une éducation de riche,
même si je n’ai pas grandi riche.
C’est parce que je suis fils unique
et que ma mère, qui était mère célibataire,
a consacré toutes ses ressources à mon éducation.
Grâce à cela, j’ai pu aller étudier aux États-Unis
et obtenir un doctorat en informatique.
Il y a environ dix ans,
je me suis dit que je voulais faire quelque chose
pour donner à tout le monde un accès égal à l’éducation.
C’est de ça que je veux vous parler aujourd’hui :
comment rendre l’éducation accessible à tous.
À l’époque, j’étais professeur d’informatique à Carnegie Mellon,
et j’ai commencé à travailler sur cette idée avec mon doctorant, Severin.
Le problème de l’éducation dans son ensemble était trop vaste,
alors j’ai décidé qu’on allait commencer par enseigner une seule chose.
Mais quoi ?
Les maths ? On adore les maths.
L’informatique ? On y a pensé.
Mais au final, et c’est peut-être surprenant pour l’Amérique du Nord,
on a choisi les langues étrangères.
Pourquoi ?
D’abord, parce qu’il y a un énorme public :
deux milliards de personnes apprennent une langue,
et 80 % d’entre elles apprennent l’anglais.
Pourquoi ? Parce que parler anglais peut transformer une vie.
Dans la plupart des pays, savoir parler anglais
augmente considérablement votre potentiel de revenus.
Et ça, c’est différent des autres matières.
Avec les maths, il faut apprendre d’autres choses ensuite
pour que ça rapporte vraiment, comme la physique, puis l’ingénierie.
Mais avec les langues, l’impact est immédiat :
si vous êtes serveur et que vous apprenez l’anglais,
vous pouvez travailler dans un hôtel et gagner plus.
Donc, on a décidé de commencer par les langues.
Et on s’est aussi convaincus que la seule manière d’atteindre un grand nombre de personnes
était d’utiliser un téléphone portable.
Construire des écoles partout, c’est trop cher.
Mais la plupart des gens ont déjà un smartphone,
et ce chiffre ne fait qu’augmenter.
Alors, on a créé un moyen d’apprendre les langues sur mobile,
accessible à tout le monde.
Et on l’a appelé Duolingo.
Merci.
Et la raison pour laquelle les gens reviennent chaque jour
C’est simple :
s’ils ne reviennent pas, leur compteur revient à zéro,
et personne ne veut perdre sa série de jours consécutifs.
Ça marche.
D’un côté, les séries ont été critiquées,
par exemple pour rendre les ados accros à Snapchat.
Mais dans une application éducative,
elles poussent les gens à venir étudier tous les jours.
Pour vous donner une idée de leur puissance,
chez Duolingo, nous avons plus de trois millions d’utilisateurs actifs quotidiens
qui ont une série de plus de 365 jours.
(Applaudissements)
Cela signifie qu’ils n’ont pas manqué une seule journée depuis plus d’un an.
Fait amusant sur les séries :
Quel pays a la plus longue série moyenne sur une application éducative ?
Le Japon.
Bien sûr.
Les séries les plus courtes ?
L’Amérique latine, baby !
(Rires)
Mais on est fun, hein, on est fun.
(Rires)
Un autre mécanisme important pour faire revenir les gens,
ce sont les notifications.
D’un côté, elles peuvent être envahissantes et agaçantes.
Mais dans le cas d’un produit éducatif,
les gens veulent vraiment être rappelés d’apprendre.
Chez Duolingo, nous avons un système d’IA très sophistiqué
qui choisit le meilleur moment pour envoyer une notification,
ainsi que son contenu,
afin d’optimiser les chances que l’utilisateur revienne.
Mais malgré toute cette sophistication,
vous savez quel est le meilleur moment pour envoyer une notification ?
24 heures après la dernière utilisation de l’application.
C’est logique.
Si vous étiez libre hier à 15h,
vous l’êtes probablement aussi aujourd’hui à 15h.
Donc voilà ce qu’a découvert une IA qui a coûté des millions de dollars.
(Rires)
C’est drôle.
Mais avec les notifications, il ne faut pas abuser.
Et nous n’abusons pas.
Chez Duolingo, nous arrêtons d’envoyer des notifications
après sept jours d’inactivité.
Mais un jour, on s’est dit :
« Si on arrête d’envoyer des notifications,
on devrait prévenir les gens. »
Alors on a commencé à envoyer ce message :
« Ces rappels ne semblent pas fonctionner.
Nous allons arrêter de les envoyer pour l’instant. »
Devinez ce que font les gens en recevant ça ?
Ils reviennent.
(Rires)
Passif-agressif.
(Rires)
Ça marche pour ma mère, ça marche pour Duolingo.
(Rires et applaudissements)
Ces notifications passives-agressives sont très efficaces
parce que les gens ont l’impression que notre mascotte,
le hibou vert, les a abandonnés.
Alors ils reviennent.
Et parlons justement de notre hibou.
Toutes nos notifications viennent de lui.
Il est passif-agressif, un peu insistant,
et cela a donné naissance à de nombreux mèmes sur Internet,
qui se moquent des moyens extrêmes qu’il emploie
pour vous faire apprendre une langue.
Voici l’un de mes préférés.
Regardez, un mème hilarant.
(Rires)
On dirait que vous avez oublié vos leçons d’espagnol…
Et ensuite, alerte intrusion !
On imagine que le hibou est entré par effraction chez vous
pour vous forcer à apprendre.
Aujourd’hui, Duolingo fait partie de la culture populaire.
Il y a des milliers de mèmes, des sketches sur SNL…
Parce qu’on a réussi à donner envie aux gens d’apprendre une langue
en utilisant les mêmes techniques
que les jeux mobiles et les réseaux sociaux pour capter l’attention.
Et c’est un point essentiel.
Je ne crois pas qu’une application éducative
puisse être aussi engageante que TikTok, Instagram ou un jeu mobile.
Et la raison est simple :
il faut enseigner quelque chose.
C’est difficile de rivaliser avec les chats et les célébrités.
Mais la bonne nouvelle,
c’est qu’on n’a pas besoin de rivaliser.
Quand vous apprenez quelque chose,
vous en tirez du sens.
Alors qu’après deux heures à scroller sur Instagram,
vous avez souvent l’impression d’avoir perdu votre temps.
Donc, si un produit éducatif est seulement à 80 ou 90 % aussi engageant
qu’une application comme TikTok,
ce n’est pas grave,
parce que les 10 ou 20 % restants
seront comblés par la motivation personnelle des utilisateurs.
C’est la clé.
Si nous voulons amener les gens à faire quelque chose de significatif,
nous pouvons utiliser les mêmes techniques
que celles des réseaux sociaux
pour les y encourager.
Et même si notre produit est un peu moins addictif,
nous pouvons quand même toucher des centaines de millions de personnes.
Par exemple, aux États-Unis,
il y a plus de gens qui apprennent une langue sur Duolingo
que dans tous les lycées américains réunis.
(Applaudissements)
Et c’est pareil dans la plupart des pays.
Mon espoir, c’est que nous puissions faire la même chose
pour d’autres matières.
Que nous puissions enseigner les maths, la physique ou autre
via les téléphones mobiles
et toucher des millions de personnes.
J’espère un futur où le temps d’écran ne sera pas un problème,
mais un moyen d’apporter une éducation de qualité à tous,
riches ou pauvres.
Mais le plus important, avant que je termine cette conférence…
S’il vous plaît,
je vous en supplie,
faites votre leçon de langue aujourd’hui.
Merci beaucoup.
(Applaudissements)
Helen Walters :
Luis, merci beaucoup.
Peux-tu nous en dire un peu plus sur ton dernier point ?
Comment appliquer ces méthodes à d’autres sujets ?
Luis von Ahn :
Je pense que c’est particulièrement adapté
aux matières qui s’apprennent par la répétition.
Et en fait, la plupart des connaissances importantes
s’acquièrent par des milliers de répétitions.
On apprend à lire par répétition,
on apprend les maths élémentaires par répétition…
Tout ce qui s’apprend par répétition
peut être transformé en une sorte de Duolingo,
où les gens s’exercent beaucoup,
mais de manière ludique.
C’est plus compliqué pour les matières
qui nécessitent des explications détaillées.
Là, il faudra sans doute de très bonnes vidéos.
D’ailleurs, Sal Khan fait un excellent travail dans ce domaine.
Mais pour tout ce qui s’apprend par répétition,
on peut utiliser ces mêmes méthodes.